Netflix s’est surpassé avec Black Mirror, encore faut-il savoir si la série cherche à épater les fans de jeux vidéo et de nouvelles technologies en anticipant les possibles évolutions délirantes de ces derniers ou à les effrayer.
Dans l’épisode deux « Playtest » de la troisième saison de la série dont la diffusion se fait sur Netflix depuis le mois d’octobre 2016, elle propose une interaction réelle entre le réel et le fictif.
Playtest est l’occasion pour Cooper, intrépide héros de Black Mirror, de voir l’interaction que ses pires phobies pourraient avoir avec un jeu vidéo à travers l’implantation d’une puce dans sa nuque. Cette dernière est reliée au système neuronal. En d’autres termes, c’est un jeu qui dépasse les frontières entre le réel et le virtuel. La puce en question permet une mise en relation entre le jeu et les plus grandes peurs du joueur.
Le décor de Playtest s’apparente à celui du film Resident Evil avec, en prime, une approche plus morbide de la réalité basée sur ses phobies les plus noires. Cooper se prête au test du jeu par curiosité autant que par nécessité, le héros étant en manque de ressources financières. En entamant l’essai, on pénètre donc dans l’imagerie vidéoludique et les remparts les plus secrets de la tête du héros.
Bien que Playtest permette de voir, de sentir et de ressentir les peurs du joueur lors de son immersion, il ne permet pourtant pas encore de « hacker » les neurones de ce dernier. C’est en tout cas ce qu’affirme le grand manitou de la réalité virtuelle et des interfaces entre ordinateur et cerveau, le directeur de recherche à l’Institut national de recherche dédié au numérique (Inria), Anatole Lécuyer.
Nous n’en sommes donc pas encore arrivés aux jeux vidéo qui contrôlent les pensées et gestes du joueur. Les jeux sortis en ce moment tentent une amélioration des interférences entre jeu et joueur sans pour autant réussir à un stade de contrôle. A l’heure actuelle, ils ne parviennent qu’à capter les sensations de celui qui joue via la très célèbre informatique physiologique.
Réduire la frontière entre réalité et fiction, et peut-être un jour l’abolir complètement, tel est l’apanage des jeux vidéo actuels. Anatole Lécuyer explique que les développeurs essaient aujourd’hui de parvenir à une réaction du jeu basée sur l’état physiologique du joueur.
Chez Magic Leap, par exemple, de nouvelles technologiques capables de capter les mouvements des doigts ont été créées en vue de permettre au jeu de gagner en finesse. D’autres entreprises travaillent sur des techniques de mesure des facteurs physiologiques dont la réaction cutanée, le rythme respiratoire ou encore la fréquence cardiaque en vue de connaître et d’anticiper ce que le joueur ressent vis-à-vis du jeu, de saisir sa perception vis-à-vis de son contenu.
L’Inria aime jouer avec l’informatique physiologique. Il a récemment travaillé sur la possibilité d’intégrer le stress dans le scénario des jeux avec lesquels on utilise des capteurs électrodermaux ou basés sur le rythme cardiaque. Anatole Lécuyer parle notamment d’OpenViBe2, un projet conçu avec la collaboration d’Ubisoft et permettant des concepts novateurs basés sur l’état du joueur.
A titre d’exemple, lorsque celui-ci semble détendu, différents avantages lui sont proposés, à l’instar d’un gain de service par un ace dans un jeu de tennis. Pour pousser plus loi, un jeu découlant de l’incroyable saga de Star Wars propose au joueur la possibilité de faire lever un vaisseau spatial et de devenir Jedi s’il est perçu comme assez concentré ou détendu en jouant. Outre les jeux d’action, les jeux romantiques peuvent également être influencés par l’informatique physiologique.
Oshiete Your Heart, par exemple, cherche à influencer les sentiments éprouvés par le joueur via des capteurs sensoriels qui guideraient l’aboutissement des relations en analysant ces sentiments. Nevermind conçu par Flying Mollusk joue avec le stress du joueur : plus ce dernier est élevé, plus le jeu augmente en niveau. Affectiva est l’occasion pour les scientifiques de tenter de concevoir des caméras pouvant décrypter les expressions du visage du joueur. Autant d’innovations visant à allier émotion et jouabilité, mais dont les limites restent nombreuses. En effet, Anatole Lécuyer observe la possibilité de capter stress et anxiété sans pour autant réussir à décrypter d’autres sensations.
Les progrès technologiques tendent également à faire émerger l’existence d’une connexion directe entre jeu vidéo et cerveau. Pour autant, elle reste minime, l’activité électrique cervicale étant saisie par l’Interface cerveau-machine (ICM), un dispositif de connexion directe entre une machine et un cerveau, et des casques neurologiques (EEG), Cette technique n’est pas encore très répandue chez les jeux vidéo.
Ceux à visée médicale sont les seuls à l’utiliser. Mensia Technologies, la start-up de l’Inria, développe actuellement des technologies neuro-adaptatives servant à traiter les troubles de l’attention chez les enfants. Le produit final dont la sortie est prévue pour l’année 2018 devrait permettre, via un casque à électrodes et une tablette, de stimuler leurs ondes cérébrales liées à l’attention afin de faire fonctionner à nouveau l’activité cérébrale éteinte chez ces enfants qui souffrent de troubles de l’attention.
Selon Anatole Lécuyer, cela permettrait un traitement ludique à domicile, sous forme de jeu, sans nécessité de déplacement chez le médecin. Pour traiter certaines peurs noires, il existe des jeux thérapeutiques basés sur des expositions virtuelles à des composants suscitant l’anxiété. Les expositions se font progressivement à l’aide de capteurs qui permettent de les contrôler.
Pour en revenir à ce second épisode de Black Mirror, l’interaction réaliste entre jeu et joueur qu’il prône est loin d’être possible dans la réalité, bien que les phobies du joueur puissent être captées et utilisées. Les limites des casques à réalité virtuelle ou visiocasques ne sont pas encore franchies. Le simple fait de les mettre nous prive de notre entourage que l’on ne peut plus voir, et nous coupe même de notre corps. Mais Anatole Lécuyer ne peut s’empêcher d’admirer la belle progression de cette technologie. Il note la possibilité de s’immerger entièrement dans le virtuel grâce aux playstations VR et leurs casques de réalité virtuelle, malgré de nombreuses failles de celles-ci. Pour pallier à cette coupure avec le monde extérieur, des laboratoires travaillent sur la modélisation possible de corps en 3D afin d’accompagner les joueurs. Playtest reste donc beaucoup plus au point que la technologie des jeux vidéo actuels, ces dernières étant quand même déjà aux portes de la confrontation entre réalité et virtuel. Mathieu Tricot, un philosophe, affirme que les chercheurs technophiles d’aujourd’hui tendent à réussir à accéder à une réalité virtuelle basée sur un branchement direct au cerveau, sans l’intermédiaire d’écrans, de manettes, de claviers ou de souris comme c’est encore le cas en ce moment. Si le but était, dans les années 1980, de concevoir la réalité virtuelle, de nos jours, on vise l’appartenance à la fiction, à l’imaginaire. Faire tomber la barrière entre le réel et le virtuel, telle est l’apothéose du développeur de jeu vidéo.
Playtest, en se basant sur la phobie du joueur pour orienter le jeu, confond la réalité avec la fiction. Il tente de franchir la frontière entre jeu et réalité, le jeu devenant réalité. Pour Mathieu Tricot, un tel progrès déroute, cet épisode de Black Mirror semble prôner une réalisation « délirante » de la fiction, ce qui n’est pas forcément une bonne chose. Auparavant, on jouait aux jeux vidéo pour s’imprégner de cet univers imaginaire et le dompter. Aujourd’hui, on veut importer cette fiction dans la réalité !